REFLEXION

En tant que professionnels du tourisme en France nous sommes conscients de l’existence de problématiques liées à un développement excessif ou mal contrôlé de ce secteur. Ce constat nous concerne d’autant plus que notre action au Népal consiste précisément à permettre la structuration d’un support touristique exploitable dans un pays dit « pauvre ». En effet, même si nous sommes motivés par les meilleures intentions, nous sommes conscients que notre démarche n’est pas anodine et que le fait de développer le tourisme dans les régions reculées et encore préservées du Népal entraînera un impact plus ou moins important sur les populations concernées. Nous nous posons donc beaucoup de questions sur l’impact de notre action et ses implications dans la société népalaise.

Les tenants et les aboutissants de cette problématique dépassent le domaine de nos compétences et l’exposé qui suit ne prétend pas apporter des solutions définitives aux questions qu’il soulève. Il constitue plutôt une tentative de définition du cadre dans lequel se situe notre action et propose, à partir de notre propre expérience, une réflexion sur la démarche qui consiste à partir en expédition dans un pays appauvri.

La société népalaise (et celle des pays appauvris en général), est encore très largement structurée autour d’une multitude d’économies locales de subsistance auxquelles est associée une très importante diversité de cultures et de modes de vie qui tend à disparaître en occident. Il y a par exemple 80 ethnies différentes au Népal et donc autant de cuisines, d’architectures, de langues, de danses, de codes vestimentaires, de traditions et d’histoire bien vivants…

Les sociétés enrichies occidentales sont, elles, principalement organisées autour des notions de sur-consommation et de celles, siamoises, de travail/vacances. Cette structuration entraine indiscutablement une uniformisation des modes de vie et de pensée en leur sein. Elles perdent ainsi lentement leur diversité (langues régionales, costumes traditionnels, traditions…) et leur identité culturelle au profit d’un modèle unique dit de « société de sur-consommation ».

Le problème vient ici du fait que comme ces sociétés sont économiquement, et donc politiquement, les plus puissantes, elles se sont autoproclamées garantes du modernisme et de la civilisation, concepts dont elles ont au préalable elles-mêmes (re)défini le sens avant de s’en approprier les caractéristiques et qui suffit à justifier à priori l’expansion au niveau planétaire de leur modèle d’organisation (mondialisation). Et la diversité culturelle et identitaire des pays appauvris, à caractère local, est évidemment particulièrement vulnérable et fragile face à la puissance, à la sophistication et à l’indiscutable soif d’expansion de ce système.

Le fait est qu’il existe une profonde inégalité entre riches et pauvres concernant la possibilité de voyager. Cette différence se traduit d’ailleurs dans le vocabulaire : on distingue tourisme et immigration. Il suffit ainsi d’un passeport et de 35 euros pour rentrer au Népal alors qu’il nous a fallut monter des dossiers entiers pour permettre à Rajesh et à Kabindra de séjourner en France… Le tourisme est donc un point de contact entre les pays enrichis et les pays appauvris mais l’échange qui en résulte est à sens unique puisque les pauvres ne peuvent pas voyager chez les riches... En cela il représente un vecteur à sens unique des modes de vivre et de penser occidentaux, dont les touristes sont inconsciemment et malgré eux les ambassadeurs, et dont les populations appauvries ne peuvent se défendre qu’avec grande difficulté faute de pouvoir analyser la nature du danger et donc de pouvoir l’identifier. 

            Ce constat est à la base d’une tragique contradiction : les habitants des pays enrichis voyagent (ou organisent des expéditions…) dans les pays appauvris pour découvrir ou rechercher l’authenticité et la simplicité perdues de leur monde alors même qu’ils contribuent lentement (mais surement), et bien sur malgré eux, à fragiliser et a détruire lentement ce qu’ils sont venus chercher.

Il ne s’agit pas ici de faire culpabiliser les occidentaux qui voyagent car il est évident que le tourisme lorsqu’il est correctement géré amène des retombées économiques et financières conséquentes dans les pays appauvris, qui en on indéniablement besoin. Il existe par ailleurs de nombreux exemples de gestions intelligentes et constructives du tourisme.

             Le problème ne vient donc pas du tourisme en lui-même mais de la façon dont il est géré et de la capacité des pays appauvris à pouvoir analyser et anticiper au-delà des simples retombées économiques les conséquences sur le long terme de son développement afin d’en maîtriser les impacts et de préserver son patrimoine naturel et ses populations. Considérant la façon dont certains sites français ont été abimés et dénaturés (Côte d’Azur, stations de ski…), la question est loin d’être évidente, d’autant plus que ces pays sont souvent rongés par la corruption…

            Comment donc agir de façon responsable dans ce contexte alors que nous travaillons précisément à développer une activité touristique occidentale dans un pays appauvris? Comment intégrer cette problématique à notre démarche ? Les expéditions ne sont-elles pas après tout qu’une forme de tourisme parmi d’autres ? Quel est leur impact sur les populations locales et, dans la mesure où c’est possible, comment faire pour qu’elles soient concrètement utiles ? Doivent – elles l’être ? Qu’en est-il alors de leur place au sein de l’exposé présenté ci-dessus ? L’appel de l’exploration justifie-t-il la dépense de sommes très importantes dans des pays appauvris juste pour satisfaire nos plaisirs « d’aventuriers » et faire rêver ceux qui restent au pays ?...
            A partir du moment où nous étions engagés dans cette histoire et en sachant que l’ampleur de la problématique ne permet pas de formuler des solutions définitives ni d’appliquer une démarche exemplaire, nous avons adopté face à ces questionnements ce qui nous a semblé être la démarche du moindre mal, à savoir pérenniser notre action afin que les expéditions aient des retombées concrètes pour les népalais et rechercher au maximum leur autonomie quant à la gestion des outils que nous leur apportions. Nous avons tenté d’agir au mieux dans ce contexte et nous espérons sincèrement avoir apporté quelque chose de constructif en évitant au maximum les erreurs stratégiques. Le futur du canyoning est maintenant entre les mains des népalais, espérons qu’ils fassent en sortent d’en maîtriser les impacts et que son développement ai des répercussions positives et constructives dans le pays.

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