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Chamje or not Chamje...

Salut!

Ca y est la HCT reprend du service, après la longue et traditionnelle pause estivale permettant a ses membres de faire la saison... canyon!! Et oui, pas le temps de sécher qu'on repart déjà sur nos projets associatifs.Vous ne pensiez tout de même pas qu'on allait s’arrêter après l'expé Chamje Khola?

Je dois avouer quand même que cette expédition a profondément marqué tous ses participants et ce n'est finalement qu'avec le recul que l'on se rend compte de ce qu'on a réalisé. Je ne veux pas donner ici l'impression que je nous jette des fleurs ou de me vanter mais il aura réellement fallu le temps de récupérer de la fatigue physique et mentale, de "reprendre une vie normale", de regarder encore et encore les photos, les images, de repenser a ce qu'on a vécu,  de discuter entre-nous, avec nos proches et bien d'autres choses encore pour mesurer l'impact qu'a eu cette expérience collective extrême sur nos vies.

Après coup et avec un peu de distance, elle me semble presque irréelle, comme suspendue au dessus du flot de mes souvenirs.C'est l'expérience la plus marquante, la plus éprouvante, la plus dure et la plus belle que j'ai vécue a ce jour. J'en ai tiré de la force mentale, de l'assurance et une meilleure connaissance de moi-même, indiscutablement. J'ai aussi pas mal réfléchi a ce qui nous a pousse a nous confronter a ce monstre, et plus largement a ce qui nous pousse a vouloir découvrir l'inconnu et explorer des terrains vierges. A la mort aussi, c'est lié... Rien de bien nouveau dans ce contexte finalement et je n'ai bien sur pas trouvé de réponse a ces questions sauf que je ne les avais jusqu'alors appréhender qu'indirectement et donc de façon abstraite, a travers mes lectures, des discussions ou l'expérience de copains explorateurs. La j'en ai concrètement ressenti les implications, dans ma chair et dans mon esprit, comme le galet s'enfonce inexorablement au fond d'un lac...

L'engagement a réellement été total pendant une bonne partie de cette ouverture : aucun moyen de sortir du canyon en cas de pépins et aucun secours a espérer. Avancer ou crever, simplement. Pas d'hélitreuillage possible au Népal et vu l'encaissement du canyon, un largage de nourriture ou de matériel médical par helico aurait été vain...Si l'un d'entre nous s'était blesse entre le moment ou l'on est rentré dans l'étroiture géante et le milieu du deuxième jour, nous aurions certainement du nous poser la question suivante : on essaye de le sortir en mettant gravement en péril la vie des 10 autres équipiers ou on l'abandonne?  En sachant en plus que nous sommes tous liés par de très forts liens d'amitiés... Vous feriez quoi vous dans une telle situation? En fait je me rappelle m'être dit : "si un copain tombe, faites qu'il se tue, ca sera plus facile a gérer", car je ne pense pas que je l'aurai abandonne s'il s'était blessé... Non, en fait je n'en sais rien... Par contre ce dont je suis quasiment sur, c'est que l'on ne s'en serait pas sorti si on avait du transporter un blesse dans Chamje Khola. Les gens qui me connaissent savent ce que je pense de la religion, mais dans Chamje, j'ai prié. Bouddha. Comme quoi... 

C'est très différent de penser des situations et de les vivre. La pensée lorsqu'elle précède l'action permet de l'anticiper et d'en atténuer l'impact mais on est finalement toujours surpris car les choses ne se passent jamais (bien évidemment) complètement comme on l'avait imagine, pense, lu ou entendu. Et particulièrement lorsque l'on se confronte a la nature vierge et sauvage. L'implacable de la réalité. L'absolu du présent. Et toujours la démesure, la puissante, la bonté et l'indescriptible beauté de la Nature. Et derrière tout ca l'imparable et unique constat possible : il faut assumer. Car personne ne nous a obligé a venir, a être là a se les geler loin de chez soi et de sa famille en se demandant si on va mourir ou non. On l'a  voulu. En faisant un choix. Alors même que tout ca ne sert absolument a rien... Et encore, moi je n'ai pas d'enfants, et je suis célibataire. Lio, Rod, Jean-Luc, Laurent, Sam et Kabindra sont chefs de famille. Pour sur d'autres points de vue...

Ca peut paraitre un peu "too much" comme discours mais c'est je crois ce qui m'a le plus marqué dans cette expérience : le fait d'avoir a un moment donné (lors du premier bivouac en fait, alors que l'inaction permet à la pensée de vagabonder et de s'auto-torturer) été obligé de me résoudre simplement à "faire confiance". De m'en remettre à "quelque chose". Pleinement et entièrement. A moi, à mon corps, a mon esprit, a ma volonte, a la vie, au destin, au hasard, a la chance, a Dieu, aux copains, a la nature... Que sais-je?... L'important a consisté à trouver un moyen de combattre la peur, le froid (saloperie parmi les saloperie!), la fatigue, l'inconfort, l'impossibilité de dormir, et surtout le doute, qui tue l'action dans la démotivation et est dans ces moments la je crois le pire ennemi de l'homme... Parce qu'il est transmissible... Dangereusement.

D'ou l'importance des copains, du groupe et de la connerie qui fait rire et réchauffe le corps et l'âme. C'est le plus important finalement pour moi dans cette histoire : avoir vécu tout ça avec les potes. Dieu merci (décidément, encore lui), ils étaient la!!! On est plus fort a plusieurs lorsque chaque individu est capable de mettre au moment opportun ses compétences de spécialistes au service de l'équipe et de comprendre qu'il y a des gens plus compétents que lui suivant les situations. Et je vous assure que ce ne sont pas que des mots!! Compétence et savoir faire, fiabilité, humilité, esprit d'équipe, solidarité, solide amitié, volonté de fer, engagement et résistance mental et physique, confiance en soi, en l'autre, en la réussite, en la vie!! Il faut tout ca (au moins!) pour réaliser de telles aventures et vivre de semblables expériences.

Bref je ne sais au fond toujours pas pourquoi j'ai voulu aller la bas, et encore moins pourquoi malgré la difficulté extrême de l'expérience, j'ai adoré ça, alors même que j'aurai réellement pu y rester. Peut être justement parce que j'en suis revenu ;-)?! Parce que je pense que la vie est trop courte pour ne pas être vécue pleinement?... Que les rêves sont faits pour être réalisés? Que c'est nous qui construisons par nos actes notre bien être et notre bonheur? Surement un peu de tout ca.

Je vous souhaite en tout cas de réussir dans tous vos projets et qu'ils vous apportent plein de bonnes et belles choses. En attendant le film de Laurent Triay pour vous faire partager en images cette aventure...

"Soyons réalistes, exigeons l'impossible"

@+!!


Yann Ozoux

Président de la HCT




Récit d'Expé


Retour de l'EXPEDITION   "Chamjé Khola 2011"


« La difficile conquête d’un monstre. Une première mondiale au cœur des Massifs des Annapurnas et du Manasalu »
Toute l’équipe d’« Himalayan Canyon Team » vient de rentrer à Kathmandu, capitale du Népal, puis en France pour certain, en Inde pour d'autres... Ravis, d'être entier, et bien fatigués ! Une sacrée aventure...

L’objectif de la petite "promenade" ? 

L'exploration et l’ouverture d’un monstre bien caché entre deux "8000" himalayens : sans aucun, doute un des plus gros canyons sportifs du monde jamais ouvert…


PREAMBULE :

Après 2 années de préparation minutieuse par l’équipe française de l’« Himalayan Canyon Team », voici le programme des festivités qui ont suivi pour les 11 membres de l'expédition, qui s'est déroulée du 9 au 31 mars derniers : 1 semaine d’organisation logistique à Kathmandu,1 semaine supplémentaire de préparation technique dans les gros canyons de la vallée de la Marsyangdhi  puis, après 2 jours de repos, 3 jours de marche d’approche (soit 3000m de dénivelés  montant), dont le franchissement d'un col  à 4210m pour atteindre enfin le départ du canyon, à 3450 m. Nous avons ensuite ouvert les 1420 m  de dénivelés descendant de la partie supérieure, incluant 2 bivouacs, avec 2000 m d’encaissement par endroit, un débit supérieur à 180 l/s, une eau à 6° et un seul échappatoire possible pré-équipé, au 2/3 du canyon, à une altitude de 2033m !

Cet échappatoire a été providentiel, car il ne nous a pas été possible, au vue de l'ampleur du canyon et des difficultés rencontrées, d’enchainer avec la partie inférieure, comme il avait été prévu initialement. Néanmoins, cette section très technique de 850 mètres de dénivelé avait été ouverte en 2005 par notre équipe, nécessitant 2 bivouacs et 11h30 d’action, perfo à la main ! Nous n'avons donc pas réalisé l'enchainement intégral du canyon mais notre expédition reste un franc succès car nous avons réussi l'ouverture de la partie haute, ce qui est déjà un exploit en soi ! Cumulé à l'ouverture de 2005, l'équipe de l'HCT aura ouvert 2270 m de dénivelé dans Chamjé Khola.

Afin de préparer au mieux notre projet, pas moins de 6 missions de reconnaissance ont été nécessaires entre 2004 et 2010 pour repérer, cartographier et analyser chacun des aspects géomorphologiques du canyon. 

Ainsi, au vu de l’ampleur du défi, l'approche a été effectuée en technique « lourde », c'est-à-dire avec pré-installation de bivouac, camp de base, camp intermédiaire et d’altitude... une première dans l'Himalaya pour une expédition canyon...  Nous avons également du faire appel a des porteurs pour acheminer notre matériel et passer un col enneigé à 4300m d’altitude… 

Dans le canyon par contre, c'est tout l’inverse qui a prévalu : technique « légère » afin de progresser le plus rapidement possible, bivouacs plus que sommaires sans duvet, repas lyophilisés, matériel de pointe (combinaisons étanches...), amarrages « ultra-light », etc...

Au total, une équipe franco-népalaise de 21 participants a été nécessaire pour réussir cet ambitieux projet ! Canyoneurs, spéléos, grimpeurs, kayakiste, guides de hautes montagnes, médecin et secouriste, cameramen et photographes, plus 6 porteurs… 

Un sacré mélange de compétences et une fantastique aventure humaine !

Rod

Chapitre 1 : Derniers préparatifs

Tous les membres de l’ « Himalayan Canyon Team » sont enfin réunis  au Népal. L’ambiance est pour le moins intense et chacun est arrivé à KTM avec une motivation au top!

L’équipe est soudée par 2 liens essentiels : l’amitié et la passion commune de la pratique du canyon « extrême ». Chacun de nous a une grosse expérience et une longue liste d’explorations et d’ouvertures de canyons dans différentes régions du globe (Madagascar, Inde du Nord, Ile de la Réunion, Népal, Guadeloupe, Mexique, etc.)
Nous partageons le même gout de la performance technique et de l’aventure humaine !

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Du 10 au 16 mars 2011
Lio, Cécile et Franck étaient déjà à Pokhara depuis plusieurs jours pour préparer la logistique et se tenir au plus près du massif afin de surveiller l'évolution météo au dessus des Annapurnas.


Yann, Greg, Mathieu et Jean-Luc, quant à eux, sont arrivés quelques jours après à Kathmandu pour mettre au point les derniers détails administratifs et logistiques avec la "Nepal Canyoning Association" et nos amis et équipiers népalais, Kabindra et Rajesh, de "Lamateam".


Ont suivis ensuite, Rod, Sam, Laurent, Adrien, Ivan et Dorian, complétant ainsi l'équipe dans la capitale népalaise afin de s'occuper de la partie médiatique du projet et des derniers achats.

Jeudi 17 mars, levé à 5h30 du matin. Nous chargeons le matos et nous nous dirigeons vers le bus spécial "HCT", affrété pour l'occasion : grosse ambiance à bord ! Nous sommes nombreux (les 12 membres de l’expédition et l’équipe népalaise, 6 porteurs et 2 guides locaux)… Notre groupe ne passe pas inaperçu avec tout le matériel que nous transportons (+ de 300kg) !! Les conditions de transport sont difficiles, nous sommes entassés et on étouffe de chaleur ! Nous décidons de poursuivre le voyage sur le toit du bus… De temps en temps, Sam Bie et Laurent Triay sautent du bus pour prendre quelques images de notre périple… Une grosse rigolade collective ! Il nous aura fallut 11 heures de transport, dont 2 de jeep, pour arriver à destination !!
Jean-Luc Jubert

Chapitre 2 : Entrainement

Vendredi 18 mars, tôt le matin, nous embarquons nos sacs de matos et nous marchons jusqu’au Village de Ghermu, situé à 200m au dessus de la rivière Marsyangdhi. Malheureusement, il pleut des cordes et notre projet canyon de la journée « tombe à l’eau » !!
Après avoir avalé un bon gros “Dal-Bath” pour reprendre des forces, nous faisons le point, une fois de plus,  sur la liste d’équipement, l’organisation logistique, la stratégie d’approche et les techniques de progression .
Notre stratégie réside dans le rythme de progression et le choix d’un matériel ultra léger (cordes de 8mm, utilisation de bolts de 8mm sans plaquette pour les relais, des cordelettes Dyneema en 5mm) pour optimiser notre rapidité dans le canyon. Cette technique, élaborée par l’Himalayan Canyon Team a fait ses preuves dans les canyons les plus engagés (Népal et Nord de l’Inde).

Samedi 19 mars: 7h30 du mat, le temps s’est éclairci. Nous quittons Ghermu pour nous rendre au village de Sansapu, situé 650m plus haut. Nous allons nous chauffer dans un canyon proche du village.  Le but  essentiel de cette journée est de mettre en place l’équipe-images  (Sam Bie et Laurent Triay, assistés par nos deux spécialistes, Jean-Luc et Dorian) et de perfectionner la coordination entre les ouvreurs et l’équipe de fermeture. De retour à Ghermu, Rod et Yann ont initié un débriefing de la journée. Nous avons passé en revue chaque détail technique et analysé la coordination des membres de l’équipe, le but étant d’être complètement rodés pour minimiser le facteur risque durant l’ « expédition Chamjé Khola ».

Dimanche 20 mars: aujourd’hui,  nous poursuivons notre entrainement dans “Syange Khola”, canyon ouvert en 2004 par Rod, Lio and Mauricio.
Superbe canyon divisé en deux parties : la première, très verticale,  présente un jet de 130m !
La deuxième partie est un enchainement de trois cascades (30m, 30m et 60m). Très esthétique ! Notre équipe-images se cale de mieux en mieux et les résultats photos et films sont prometteurs!
Nous sommes tous en place dans nos rôles respectifs et il nous reste encore 3 jours d’entrainement pour perfectionner notre travail d’équipe et nos techniques de progression. Rien ne doit être laissé au hasard et notre sens de la perfection nous pousse à travailler encore et encore.
Cette aventure humaine se joue sur la responsabilité individuelle autant que sur la cohésion du groupe. Nous nous appliquons tous à être performants sur ces deux aspects !

Lundi 21 mars, nous avons quitté Ghermu, très tôt ce matin, et avons marché jusqu’au village de Jagat, dans la vallée de la Marsyangdhi. Nous logeons à l’hôtel « North Face » qui offre une vue imprenable sur le gros canyon Jagat Khola, notre projet du lendemain.
Planning de la journée : repos et briefing de l’équipe et prépa.

Mardi 22 mars, nous partons au village de Mipla pour poursuivre notre entrainement  et nous tester dans le canyon Jagat Khola.
La partie basse du canyon est divisée en 3 sections, verticales et très encaissées.
Yann, Rajesh et Greg sont nos leaders de la journée (équipe de tête). Rod, Lio et Kabindra sont à la fermeture et déséquipent tous les relais. Au milieu, Mathieu fait la navette (le"singe") pour envoyer les cordes à l’équipe d’ouvreurs et faire en sorte que la progression ne soit jamais ralentie (grosse pêche le Mathieu !) L’équipe-images (Sam et Laurent) assistés par Jean-Luc et Dorian, se positionnent dans le canyon pour avoir les meilleures prises de vue.
Tout fonctionne parfaitement ! Nous avons gagné une heure sur le temps donné (4h30 pour descendre dans la partie basse du canyon). La progression est excellente en comptant le fait que nous sommes un peu ralentis par les prises d’images.
Nous sommes enfin près !! 

"Quand il faut y foutre, il faut y foutre !!" (Proverbe HCT)
Jean-Luc Jubert

Chapitre 3 : Mise en place


Mercredi 23 mars, préparation du matériel pour l’expédition au camps de base de jagat.

La journée commence par un briefing que Rod, le chef d’expé, initie dès la première heure !! Il y a un gros travail de préparation et tous les sacs doivent être bouclés ce soir. On repasse tout le matos en revue pour être sûr qu’il ne manque rien… Gros déballage de matos sur la terrasse de l’hôtel pour un inventaire complet.  
Pour être efficace, on constitue deux équipes :
- Dans la première, Dorian et Yann s’occupent de contrôler les 800m de corde pendant que Cécile, le médecin de l’expé, nous donne les dernières recommandations médicales et vérifie méthodiquement la trousse de secours pendant Franck, "Mr S.S.F" prépare la civière. 
Greg est en charge du contrôle des perfo, des batteries, des bolts, etc.
Jean-Luc coupe les cordelettes Dyneema pour préparer les 50 relais.
- La deuxième équipe (Rod, Lio, Franck, Rajesh et 2 porteurs) prépare le matériel nécessaire pour l’installation des bivouacs.
Lio est en charge de la cantine et des provisions nécessaires pour les repas.
Laurent Triay filme quelques séquences de cette journée et tourne les interviews des membres de la HCT.
A la fin de la journée, tout est listé et dûment emballé !!  Nous sommes prêts pour le départ de chaque équipe.

Jeudi 24 mars, "l’équipe médicale" part installer le bivouac intermédiaire sur la rive gauche de Chamje Khola (seule échappatoire du canyon et seul accès  possible pour une éventuelle intervention-secours). 1400 m de dénivelé a avaler, soit 6h aller-retour dont 3h, coupe-coupe à la main dans une jungle de bambou impénétrable : une brave journée (surtout avec une civière dans le dos !)... Ce campement, situé à 2000m d'altitude, sera notre point de ravitaillement durant l’exploration du canyon.
Cette équipe est également chargée de faire un état des lieux de la partie basse du canyon. Elle rejoindra "l'équipe d'approche" à Tal le 25 pour nous faire un rapport détaillé.
Pendant ce temps, cette "équipe d'approche" se rend directement au village de Tal (camp avancé) pour monter installer le bivouac 1 (3200m) le lendemain matin. Tout le matériel sera transférés à dos d’homme jusqu’à ce premier abris sous roche.
Vendredi 25 mars, Kabindra et Jean-Luc quitteront le bivouac 1 pour analyser les conditions d’accès du canyon (passage d’un col à 4240m).  Leur retour au camp est prévu  dans la même journée.
Dans la soirée, tous les membres des 2 équipes seront réunis au camp avancé de Tal pour faire un bilan complet (conditions d’accès de la partie haute et état des lieux de la partie basse du canyon).

Samedi 26 mars : repos et acclimatation au village de Tal.
L'assaut est pour demain : double "Dal Bat" pour tout le monde !



Jean-luc Jubert

Chapitre 4 : A l’assaut du col !

Dimanche 27 mars 2011, le soleil se lève sur Tal, petit village perché à 1670m d’altitude entre les massifs des Annapurnas et du Manasalu, l’aventure peut commencer !



Toute l’équipe d’« Himalayan Canyon Team » est sur le pied de guerre… 
Très tôt le matin, chargés de 15kg chacun, nous quittons le village pour gravir 1405m de dénivelé à travers une forêt de pins himalayens et de rhododendrons. L’accès est très vertical et sans aucun point d’arrêt jusqu’à atteindre, 3h30 plus haut, le « Bivouac 1 », situé à 3075m d’altitude.
Les yaks y ont élu domicile en attendant le passage du col. Laurent Triay notre caméraman, s’approchant un peu trop près, manque de terminer au bout d’une corne bien affutée !! Par miracle le Yak, après l’avoir chargé lourdement, décide de l’épargner. Olé !

Le bivouac est confortable et offre la possibilité de dormir sous le surplomb d’un énorme bloc à la stabilité douteuse. Certains s’y installent  alors que d’autres choisissent de dormir dans les hamacs tendus entre d’énormes rhododendrons, en contre bas.
Mais dans le milieu de la nuit, la plupart se réfugient précipitamment sous l’abri rocheux, chassés par une pluie battante et un brouillard à couper au couteau ! Atmosphère mystique, en parfaite adéquation avec le côté sauvage et reculé de cet endroit.

Lundi 28 mars 2011, dès les premières lueurs du jour nous partons pour l’assaut du col, situé à 4240m d’altitude. La sente est de plus en plus raide et s’efface inexorablement sous la neige, alors que la végétation disparait peu à peu avec l’altitude…

5h30 plus tard et 1365 mètres plus haut, nous atteignons enfin le col, point clé de l’expédition. Kabindra et Rajesh, qui sont guides de haute montagne, passent devant. Nous sommes alors accompagnés des 4 porteurs et toujours des 3 yaks. Les conditions météo ne sont franchement pas terribles : il neige toujours, la visibilité est réduite à une dizaine de mètres et la température ressentie continue à descendre… Nous chaussons donc les crampons par-dessus les Five Ten, alors qu’un blizzard glacial nous fouette le visage. Finalement ce n’est pas plus mal car on ne voit pas les pentes abruptes qui se trouvent sous nos pas : elles tombent directement dans l’abîme de Chamje Khola, 2000 m plus bas… Bien que la traversée des névés soit très exposée et la neige profonde et avalancheuse, seuls les trois Yaks font demi-tour ! 

 
Pendant plusieurs heures, à plus de 4000m d’altitude, la progression est très explosée et ne permet aucun faux pas. Nous essayons parfois de sécuriser au mieux les passages les plus délicats  en utilisant des ancrages humains et naturels pour éviter toute surprise. C’est à ces endroits que le fait d’avoir volontairement limité les charges individuelles à 15 kg par personne prend plus de sens !

Vient ensuite la descente, enfin : 890m bien raides dans les pentes herbeuses.  Elle est interminable… Le brouillard se lève un peu… Nous arrivons au « bivouac 2 » à 16h. Il marque l’entrée du canyon, à l’altitude 3450m. Repos bien mérité après avoir bataillé plus de 10 heures dans les nuages... Nous sommes au fond d’un cirque gigantesque ceinturé par des crêtes enneigées. La rivière s’écoule  pied du bivouac, au milieu des rochers et d’une belle forêt de pins. L’endroit, loin de tout, est magnifique.

Profitant de cette fin d’après-midi, chacun s’affère à la préparation du bivouac, des perfos, des kits de corde et de matos photo et vidéo, le but étant de partir à l’aurore, le plus rapidement et léger possible, avec un minimum de nourriture et de matériel. Nous pensons pouvoir passer en une grosse journée, deux maxi !

C’est alors que Dorian, notre « GPS man », nous informe qu’il y a eu des erreurs de relevés d’altitude à la partie médiane. La partie inférieure est plus courte qu’annoncée en 2005 de 150m !! Aussitôt on réalise tous que la partie haute présente plus de dénivelés, d’autant plus que nous sommes déjà plus haut que prévu. Deuxième surprise, la distance jusqu’au bivouac intermédiaire serait de 7,5kms, ce qui est beaucoup pour un canyon vertical ! Pas facile de recroiser des données datant de différentes expés et de reporter le tout sur des cartes 1/100emes, fausses de surcroît ! Au total, 1420m de dénivelé nous attendent au lieu des 1000/ 1200m envisagés jusqu’alors. Brave promenade en perspective… 

On refait le point matos, 90 goujons, 600m de corde, plus 200m de dyneema pour les relais, 2 perfos et 3 accus, vu que le 4eme nous a lâché à Jagat. Ca fait quelques jokers en moins mais si ça déroule bien dans la première partie horizontale, on attaquera la partie technique en quelques heures, et les parties verticales en soirée… Ce qui semble jouable pour tout le monde. On est tous prêt à affronter monstre. On comprend tous, néanmoins, que l’engagement va être plus important que prévu et que notre présence dans le canyon risque de s’allonger bien au delà d'une grosse journée... 

« De toute façon, on est là, ni pour dormir, ni pour manger ! » (Autre proverbe « HCT »)

19h, Rod nous fait un dernier briefing technique et sécu autour du feu, distribue les rôles d’ouvreurs, de déséquipeurs, la position des équipiers et du « singe » puis chacun s’endort paisiblement dans son duvet douillet et humide !

Texte : Jean-Luc et Rod
Photos : Sam Bié et HCT

Chapitre 5 : Enfin dans l’eau !

Mardi 29 mars 2011, Le départ est fixé à 5h00, après la cérémonie bouddhiste et la prière, indispensable pour « être aidés par les Dieux » 

  A 3h30, tout le monde s’excite ! Du coup Yann et Greg, nos ouvreurs du matin, sautent dans leur combinaison étanche afin qu’aucun de nous ne parte avant eux. Ils avalent une bonne ration de lyophilisé et à 4h50, disparaissent dans la pénombre matinale…

La rivière prend sa source quelques 700m plus haut, au cœur d’un très large bassin culminant à plus de 5600m. La neige se situe à plus de 4000m et ne fond pas encore. Au niveau du camp nous estimons le débit à environ 100 l/s. La température de l’eau quant à elle, ne dépasse pas les 6°C.

Après avoir plié le bivouac et confié duvets et crampons à nos 4 porteurs qui vont repasser le col, nous entrons à notre tour dans la 1ère partie du canyon, que nous nommerons plus tard « Echauffe du matin ». Dès le premier rappel de 12m, la gorge est marquée, nous entrons dans un long chaos de blocs, certains sont encore gelés et partiellement recouverts de glace. La progression est lente et délicate, nous exposant, à chaque pas à une chute grave. Il est grand tant de se réveiller...

Il est bien clair dans la tête de chacun qu’aucun accident ne doit arriver, sans quoi nous nous retrouverons dans une situation extrêmement délicate. Isolés au fond de la profonde gorge, seul un « auto-secours » très complexe serait envisageable. Aucune possibilité d’hélitreuillage au Népal et les seuls techniciens capables d’intervenir par le haut sont tous dans le canyon ! De ce fait, aucune mise en attente de victime n’est envisageable, les deux seules options qui s’offriraient à nous seraient : soit sortir par le « bas » du canyon, donc de continuer la progression coûte que coûte, soit par le « haut », c'est-à-dire grimper 2000m de paroi vertigineuse improtégeable… Donc par le bas ! Dans le même principe, nous savons depuis le début de projet qu’en cas de difficultés ou d’infranchissable, notre seul salut consisterait à « shunter » l’obstacle pour retourner inexorablement dans le canyon…



Au bout de 8 heures de progression dans la partie « horizontale », nos altimètres indiquent, à notre grand désespoir, que nous n’avons descendu que 500m de dénivelés alors que chacun d’entre nous pensait déjà avoir fait plus de la moitié du canyon !! Nous nous persuadons que nos instruments sont déréglés à cause du froid glacial et nous continuons la descente sans trop nous inquiéter.
La hauteur moyenne des cascades n’excède pas 15m, les micro-toboggans de 5m s’enchaînent, le débit augmente à chaque affluent, rendant la progression de plus en plus aquatique et technique… 
On approche des choses sérieuses mais avec un retard important sur le timing.

 
Vers 14h, Greg remplace Yann à l’équipement et ouvre une superbe ligne dans « une grotte » méchamment arrosée, il prend pied 16 mètre plus bas puis s’engage dans une étroiture ne présageant rien de très bon pour la suite. On sortira de là finalement assez rapidement. Lio prend alors la tête et sortant ses « bottes de sept vieux », traverse un grand chaos de plus d’1 km en sautant de bloc en bloc, avalant quelques ressauts de 15m au passage… Le moral de l’équipe remonte car on rattrape un peu de temps perdu… Le débit aussi augmente, encore un affluent rive gauche. Nous l’évaluons maintenant à plus de 150 l/s. et un énorme encaissement s’ouvre devant nous : fichtre, le « canyon » commence là !! Nous sommes à 4 kms de l’entrée, déjà plus de 30 points posés, il est déjà 16h et il nous reste plus de  900m à descendre avant d’arriver au « bivouac médian », point de ravitaillement avant la partie inférieure de 2005.

Texte : Jean-Luc et Rod
Photos : Sam Bié

Chapitre 6 : Dans la gueule du monstre.

Lio et Rod entrent dans « le Grand Corridor » avec détermination pendant que les équipiers marquent une courte pose pour ingurgiter un petit lyophilisé chaud. L’engorgement est impressionnant et grandiose, les obstacles sont plus hauts, les marmites sont énormes et souvent remplies d’énormes troncs fracassés en morceaux, tous aussi affutés les uns que les autres. L’émulsion due à l’impact des cascades pousse ces amas de bois prêt des déversoirs rendant la progression très dangereuse car le flux d’eau semble parfois siphonner en dessous.

Délicat d’aller poser le « guidé » dans ce type de situation. Rod prend la main et saute un premier obstacle de 15m, s’ensuit un « ramping » délicat sur les troncs et la corde est posée : technique radicale mais rapide… Rappels guidés, grotte, sauts et longues nages s’enchaînent mais la lumière du jour commence déjà à faiblir.

Vers 17h00, nous entrons dans une étroiture très sombre, très austère. Une « micro-pose » s’impose sur une petite plage afin de sortir les frontales et de manger 2 fruits secs en passant. Les équipeurs, en remplaçant la première batterie du perforateur, constatent alors qu’un des accus a prit l’eau dans le bidon étanche malgré l’emballage plastique supplémentaire. Ce sera la première fois en sept ans, malédiction ! Il ne nous reste donc plus qu’une batterie opérationnelle sur les 3 emportées. Soit plus qu’une trentaine de trous supplémentaires ! Un rapide calcul : 30 trous soit 20 cascades de 10 ou 20m plus tout ce qui saute, allez, on peut descendre encore 400m de dénivelé et sortir du corridor !? De toutes façons, impossible de nous arrêter pour  l’instant tant la section est intense et aquatique, il nous faut avancer jusqu’à trouver une échappatoire ou un lieu de bivouac pour tous, on avisera ensuite. 

C’est donc repartit dans l’ « étroit des noctambules » pour un enchaînement de sauts, nages et autres plaisanteries, mais cette fois-ci, de nuit ! Ah, qu’il fût prémonitoire de pratiquer spéléo et canyon de nuit toutes ces dernières années… 

Yann, aidé par Rajesh et Lio, déséquipe… Sensation de solitude, tout seul dans la nuit, derrière… Laurent et Sam, assistés par Dorian et Jean-Luc continuent de collecter des images sans broncher, ils ne semblent tenir compte ni de la fatigue, ni du lieu et encore moins du moment ! Kabindra et Mathieu, les « singes », font relais pour faire tourner les cordes afin de ne jamais stopper la cordée… Action et efficacité sont de mise.

Greg et Rod se relaient, afin de reprendre leur souffle entre deux « jumps » dans l’obscurité, ça n’en fini pas… Derrière chaque méandre, l’inconnu assorti d’une nouvelle surprise ! La pression est à son comble. Nos 600m de corde sont dépliés. On équipe maintenant depuis plus de 3 heures sur « mono-point » en reliant chaque obstacle par une corde « guide » afin que les équipiers et déséquipeurs reste sereins dans les sauts obligatoires et les inquiétantes nages. Ambiance terrible ! 

C’est vers 21h30 que Greg, toujours en tête, annonce enfin à Rod qu’on stoppe la progression ici. Trois raisons s’imposent : juste devant, le trou noir ! Un énorme étranglement vertical s’ouvre sous nous, que nous estimons à 20 ou 30 mètres. En tout cas ça « brasse sévère »... Passons donc rapidement aux 2ème et 3ème points : Greg a immédiatement remarqué la petite « plagette ***» dans le « contre » derrière nous, et surtout, d’un coup de phare, une échappatoire potentielle et providentielle en rive gauche !!  

Les équipiers arrivent les uns après les autres des ténèbres, on se compte 10 !? On tire alors sur la corde provenant de l’amont, Yann est attaché au bout : c’est cool !
Calmés et affamés, nous décidons à l’unanimité de stopper tout pour reprendre des forces. Nous installons un bivouac de 2 x 3m sous les couvertures de survie, on se blotti tous les onze, les uns contre les autres. 
Le repas est très succinct et se résume à un lyophilisé pour 3 ; quel luxe, en 2005, c’était un sachet de thé pour 5 ! Par contre bonne nouvelle, nous ne manquons pas d’eau. Jean Luc s’affaire pendant plusieurs heures à faire bouillir de l’eau dans laquelle il ajoute UN bonbon au caramel pour le dessert… Puis tout le monde « s’endort », ou presque, dans la moiteur de sa combi étanche, assis les genoux dans la poitrine, à quelques centimètres du tumulte incessant de la rivière… 

« On est quand même mieux là qu’en prison, non !? » (Proverbe HCT)


Texte : Jean-Luc et Rod
Photos : Sam bié

Chapitre 7 : L’échappatoire des naufragés.

Mercredi 30 mars 2011. Au petit matin, tout le monde est sur le pied de guerre dès 5h30. On partage les trois lyophilisés qu’il nous reste. Le jour se lève mais la lumière a du mal à se faire une place dans l’étroite gorge qui ne fait pas plus de 6 m de large à cet endroit. Ne parlons pas du soleil que l’on ne verra pas de la journée !

Bon et maintenant ? Un rapide point sur la situation nous amène vers une décision unanime et sans surprise : compte tenu du peu d’énergie restant dans le dernier accu du perforateur, il est hors de question de risquer de nous retrouver coincés dans « un passage infranchissable » sans possibilité de perçage. Nous prenons donc la sage décision de tenter une sortie par le haut. Cela nous permettra de contourner la difficulté inconnue en passant sur des amarrages naturels et d’économiser une quinzaine de trous. Pour la suite, on avisera d’en haut en fonction du point de vu. Mais il est évident qu’on devra redescendre dans le canyon dès que possible…

Il reste à trouver deux volontaires pas trop « rouillés » pour s’attaquer aux 70 mètres de « terrain d’aventure »… Sam, Laurent, Rod, Jean-Luc et Matthieu, sont tous d’excellents grimpeurs, mais là, ça ne suffira pas ! Le rocher est recouvert d’une mousse humide et épaisse rendant la progression délicate, ce qui n’est pas si différent des parois enduites de boue liquide lors des escalades souterraines : il faudra nous donc un « grimpeur spéléo » !

Rod se propose et Laurent, entendant le mot « escalade », saute immédiatement sur l’occasion, pensant naïvement s’éclater autant que sur le célèbre calcaire espagnol ! Le reste de l’équipe s’occupe de plier le bivouac de fortune pendant que nos deux spécialistes s’équipent en conséquence : combinaison étanche, chaussures canyon, corde statique, perfo, coinceurs et pitons.

Il faut tout d’abord se jeter dans l’eau glacée pour rejoindre l’autre berge. Au pied du dièdre, un bon « pas de bloc » impose ensuite à Rod de commencer par grimper sur la tête de Laurent. L’escalade est ensuite peu engageante, encombrée de rochers branlants. Peu de protections naturelles s’offrent au duo de grimpeurs dans ce terrain pourri. Un « friend », un mauvais piton, puis enfin un bon goujon permettront un équipement en fixe pour que le reste du groupe rejoigne les ouvreurs, 70m plus haut, sur une vire moins pentue. 


Une fois de plus, la complémentarité de nos compétences nous permet de faire face à tout type de situation. Tour à tour et à son heure, chacun mettra au service de tous ses aptitudes, son énergie et sa conviction afin de franchir chaque passage délicat et de réussir ce challenge... Une véritable fusion s'opère au sein de l'équipe malgré le caractère fort de chacun et la fatigue nerveuse. 

La progression devient fastidieuse et aérienne : mi-jungle, mi-alpinisme, terrain favori de Jean-Luc. Grâce à un cheminement astucieux de plusieurs heures à travers un système de vires recouvert de jungle dense, nous traversons derrière lui, sur 700m de développement et à 200m au dessus de l’immense vide du canyon. Nous parvenons ainsi à contourner par le haut « l‘infranchissable trou noir » que nous évaluerons plus tard à 80m de haut ! Nous avons pris la bonne décision.

Vers 16h00, Rod trouve une ligne de rappel qui nous permet de sortir de cet enchevêtrement de bambous coupants en replongeant dans le canyon d’arbre en arbre, en 5 longueurs. A ce stade, nous espérons encore avancer rapidement dans les grands méandres entrevus du haut, il restera pourtant plus de 400m de dénivelé à descendre pour pourvoir atteindre l'équipe du bivouac intermédiaire ce soir... Où sont donc les grandes verticales attendues à la fin de la partie sup ? 

Aussitôt les pieds dans l’eau, Yann reprend la tête de la cordée et dévalent le grand chaos de bloc. Cette partie est large et magnifique, entrecoupée de belles cascades et de profondes vasques. Un goujon par-ci, un bloc ceinturé d’une cordelette par là, à priori, il ne nous reste pas plus que 10 trous de capacité dans l’accu ! On économise au maximum… 

La zone des « Grands jets » arrive enfin, Rod et Lio reprennent la main. Nous contournons un grand ressaut d’une quarantaine de mètre, la gorge se resserre et un gros vide s’ouvre devant nous. « La cascade HCT », haute de 70m, impose à Rod d’user de ruse et de finesse : départ autour d’un bloc puis traversée « plein gaz » suspendu à un malheureux piton-lame de 5cm ! 

Au bout de cette traversée Rod décale la ligne de rappel et fractionne 35 m plus bas sur un tout petit arbuste, à peine plus costaud que le piton précédent ! Au pied de l’impressionnante cascade, dans la longue vasque, des vagues énormes créées par la colonne d’eau claquent contre la paroi ! Les embruns nous giflent le visage. A cet endroit nous estimons le débit à 180l/s. et force 8 sur l'échelle de Beaufort ! On se croirait en pleine mer par temps de tempête ! 

En arrivant au bout de la corde, les questions fusent dans nos têtes. Aucun de nous ne fait le malin... Quelques énergiques brassées plus loin, nous remontons sur un bloc très glissant duquel nous sautons d’une hauteur de 7m dans une magnifique marmite. Dorian, spécialiste en eaux-vives, est alors d’une aide précieuse pour nos deux amis népalais dans ces zones de nage. Sam et Laurent ne cessent de photographier et de filmer. Ils capturent des images chocs, révélatrices de la situation et reflétant l’atmosphère chargée. Derrière, Greg et Rajesh déséquipent et font circuler les cordes aux « singes », Kabindra et Matthieu. Ca roule au mieux…
Devant, Lio et Rod avancent très rapidement pour éviter de se retrouver une fois de plus coincés au fond du canyon par la nuit qui arrive à grands pas. Le temps vire au plus mauvais, une énorme averse se précipite sur nos têtes et le canyon s’assombrit à tel point que nous sommes obligés d’allumer nos frontales. Le vent se lève et des bourrasques s’ajoutent au courant d’air glacial omniprésent dans le canyon… Chamje Khola ne nous laisse décidément aucun répit.

18h30, il fait de plus en plus sombre. Mathieu informe alors Jean Luc qu’il semble y avoir un problème devant : Lionel et Rod sont en train de remonter deux petits rappels et réapparaissent soudain en haut d’un ressaut. Ils nous confirment la mauvaise nouvelle : une nouvelle étroiture verticale se présente devant nous et elle encore plus imposante que celle qui nous a stoppé la veille. Ce grand encaissement aperçu en aval est fractionné par deux cascades. La première, d’environ 50m, se jette dans un long canal se déversant directement 30m plus bas vers l’inconnu. Avec un dernier accu de perfo quasiment vide,  l’état de fatigue avancé du « Team » et la nuit qui tombe rapidement, force est d’admettre que nous sommes face à un deuxième « passage infranchissable ». La jonction avec l’équipe de soutien ne doit pourtant plus être très loin mais ce ne sera toujours pas pour ce soir. On se sera pourtant bien battu… Adieu poulet, vin rouge, duvet chaud et partie de rire !

De ce pas, Jean Luc, sur-motivé, prend le relais et s’engage dans une escalade scabreuse et complètement fracturée pour tenter de trouver une échappatoire vers le haut. Renforcée par Laurent, notre meilleur grimpeur, la cordée progresse verticalement à travers la paroi surplombant le canyon : les « pas de bloc » n’y résistent pas ! Aux dernières lueurs du jour, nos leaders localisent d’en haut, la grande falaise caractéristique qu’ils ont repérée en acheminant le bivouac intermédiaire : notre salut est tout proche. Tous les éclairages sont allumées, la nuit est noire et nous impose de rester groupés. Malgré cela nous essayons de progresser à travers une jungle hostile perchée sur des vires escarpées. Mais dans ces conditions, la progression à la frontale s’avère dangereuse et risque de nous conduire à notre perte. Nous décidons donc de nous arrêter sur la dernière vire pouvant accueillir 11 personnes. 

Tout le monde est soulagé mais un peu amer : 2h de jour de plus et on était sorti d’affaire ! Il est maintenant 20h30. Cela fait 15 heures que nous avons quitté le dernier bivouac et que nous « brassons » le ventre vide. Nous préparons un énorme feu à l’aide de notre réchaud à essence permettant de sécher par miracle le bois mouillé. Nous essayons de tendre des couvertures de survie pour nous abriter de la bruine constante qui nous transit de froid. Tous conscients que le salut dépend de notre comportement individuel, de notre volonté et de notre espoir de nous en sortir, nous nous collons les uns contre les autres, partageant une pipe bourrée de feuilles d’arbres séchées, même le tabac manque ! Nos amis népalais sont eux-aussi en sale état : Rajesh nous fait savoir qu’il a des pointes aigues au cœur et qu’il est épuisé. Nous le bourrons de paracétamol et le choyons en le maintenant au chaud. Ce soir, nous n’avons rien à manger, le dernier vrai repas remonte à deux soirs en arrière, nous sommes affamés ! Nous ré-ouvrons les sachets de lyophilisés préalablement destinés à la poubelle pour « gratter » un peu de soupe rallongée avec l’eau d’une mauvaise vasque croupie. Le feu nous réchauffe au moins le cœur. La nuit n‘en fini pas et peu d’entre nous arrivent à dormir plus de deux heures.

"Comme quoi tout s'arrange, même mal !" (Toujours proverbe HCT)
Texte : Jean-Luc et Rod
Photos : Sam Bié